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Vaste vivant, prédestiné à subir toutes les phases et les vicissitudes de la vie, soumis à toutes les lois selon lesquelles la nature, du premier germe au plein développement, conduit chaque être, et puis l’abandonne à la mort.

L’art gothique connaît les âges et les saisons. Cela est surtout sensible dans ses motifs d’ornementation végétale[1]. À ses débuts, alors qu’il se sépare à peine de l’art roman (vers 1150), ce sont les feuilles au dessin sommaire et les bourgeons du printemps. Les feuilles s’affirment et se détaillent à mesure que le style prend plus de précision et d’ampleur. L’automne abondant du XIVe siècle ne se contente plus de simples feuilles et jonche de rameaux entiers le cadre des portails. Enfin vient l’hiver, et l’on voit apparaître ces plantes bien armées qui résistent à la froidure, mais non pas sans en souffrir, ces chardons aux recroquevillements chagrins, qui frissonnent dans l’aigre bise.

Comment est venu l’hiver ? Comme le printemps était venu.

Cette éternelle loi de l’action et de la réaction — nous le disions tout d’abord — qui gouverne tous les grands changements de l’humanité, a déterminé celui-ci comme les autres.

On dit : la Renaissance et la Réforme ont tué l’art gothique. C’est s’en tenir aux causes secondes. Il sera plus philosophique de dire que l’art gothique est mort de cet état de l’esprit humain où les mouvements de la Renaissance et de la Réforme sont devenus possibles. Ici, comme à la fin de la civilisation antique, nous sentons l’usure des intelligences et des sensibilités trop longtemps penchées et efforcées dans le même sens. Elles ont besoin de changement. Elles ont épuisé une de leurs voies. C’est le coureur, au terme du stade, qui doit revenir sur ses pas, s’il veut courir encore. L’esprit humain est un coureur infatigable.

Il y a moins une fatalité, notons-le, dans ce jeu perpétuel de deux successifs mouvements contraires, que la règle naturelle de l’activité. Concentration, expansion, dans leurs directions générales ces deux mouvements sont invariables, mais la série des modes selon lesquels ces directions peuvent se déterminer est infiniment variée. Quelquefois on voit l’histoire inaugurer simultanément plusieurs de ces modes comme, dans la décadence du vieux monde, le stoïcisme en même temps que le christianisme, modes distincts dans leurs principes philosophiques plus que dans leurs effets moraux. Quelquefois elle hésite et aiguille la pensée

  1. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné d’Architecture, article Flore.