Page:Auguste de Gérando - La Transylvanie et ses habitants, 1845, Tome II.djvu/241

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sans pain et sans sauce, et se rafraîchirent avec de l’eau dont ils avaient fait provision dans de grosses bouteilles de bois, enduites de cire par dedans, et qu’ils portent toujours avec eux à l’arçon de leurs selles. Ces honnêtes gens eurent la bonté de nous offrir de leurs mets ; mais notre triste situation nous avait totalement ôté l’appétit, et d’ailleurs ce n’était pas là notre manière de vivre. Quant à leurs chevaux, ils leur ôtent la selle et la bride, et les laissent en liberté paître l’herbe qu’ils peuvent trouver ou les feuilles d’arbres qu’ils rencontrent. Quand ils eurent donc fini leur repas, ils s’accroupirent autour de leurs feux dans la posture que les enfants tiennent, à ce que l’on dit, dans le sein de leurs mères, et s’endormirent d’un profond sommeil. Ce spectacle, joint à l’horreur d’une nuit très obscure, le lieu dans lequel il se passait, et notre malheureuse situation, nous avaient fait garder un profond silence, et nous mettaient hors d’état de penser à ce que nous allions devenir.

» Patko cependant, qui connaissait bien mieux que moi le caractère de ces barbares, puisqu’il avait été pendant trois ans parmi eux et du nombre de leurs prisonniers, dans la déroute du prince Rákótzi en Pologne, et conduit en Crimée, rompit enfin le silence, et me dit lorsqu’il les vit endormis : « Ces Tatars vont dormir pendant quatre ou cinq heures sans s’éveiller ; ce profond sommeil leur étant procuré par la grande fati-