Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/20

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les Juifs à leur sortie d’Égypte ; le peuple chrétien est poursuivi par ses propres péchés et par le diable, prince des pécheurs. Les Égyptiens qui poursuivent les Juifs s’arrêtent à la mer ; et les péchés qui poursuivent les chrétiens s’arrêtent au Baptême. Attention ! mes frères, attention ! La mer sauve les Juifs et engloutit les Égyptiens ; les Chrétiens sont sauvés par la rémission des péchés qui disparaissent dans le Baptême : Après le passage de la mer Rouge, les Juifs marchent et circulent dans le désert ; les chrétiens après le Baptême ne sont pas non plus dans la terre promise, mais dans l’espoir de la posséder. Ce siècle est un désert, il est vraiment après le Baptême un désert pour le chrétien qui comprend ce qu’il a reçu. Oui, si les sacrements ne sont pas seulement, pour lui, des signes corporels ; s’ils produisent dans son cœur leur effet spirituel, il sait que ce monde est pour lui un désert, il sait qu’il vit à l’étranger et qu’il soupire après la patrie. Mais tant qu’il soupire, il n’a que l’espérance. « Car c’est en espérance que nous avons été sauvés. Or l’espérance qui se voit n’est pas de l’espérance, car ce que quelqu’un voit, comment l’espérerait-il ? Or, si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons parla patience[1]. » Cette patience produit l’espérance dans le désert. Marcherait-on vers la patrie, si l’on s’y croyait ? Si l’on s’y croyait, ne demeurera-t-on pas en route ? Pour n’y pas rester, qu’on espère la patrie, qu’an désire la patrie, qu’on ne la perde pas de vue. Voici des tentations : n’y en a-t-il pas de semblables après le Baptême ? Les Égyptiens qui poursuivirent les Juifs à leur sortie d’Égypte ne furent pas leurs seuls ennemis ; c’était d’anciens ennemis ; et c’est ainsi que chacun de nous est poursuivi par sa vie passée et les anciens péchés qu’il a commis sous la tyrannie du diable. Il y eut dans le désert d’autres ennemis qui cherchèrent à fermer le chemin ; on combattit contre eux et ils furent vaincus. Ah ! que le chrétien ne s’égare pas lorsqu’après le Baptême il a commencé à suivre la douce voie de son cœur soutenu par les divines promesses. Voici des tentations qui lui conseillent tout autre chose, les plaisirs du monde, un autre genre de vie : leur but est de le tirer hors de la voie, de le détourner de son dessein. Que par le désir de la patrie on triomphe de ces suggestions coupables : les ennemis sont vaincus sur la route, et le peuple poursuit sa marche vers la patrie.
10. Apprends de l’Apôtre que ces évènements étaient pour nous des figures. « Je ne veux pas dit-il, vous laisser ignorer, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée. » S’ils ont été sous la nuée, ils ont été clans l’obscurité. Comment dans l’obscurité ? C’est qu’ils ne comprenaient point au sens spirituel ce qui leur arrivait corporellement. « Qu’ils ont tous passé la mer, que tous ont été baptisés sous Moïse, et qu’ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle. » La manne leur fut donnée dans le désert[2], comme à nous l’onction des Écritures, pour nous soutenir dans le désert de cette mortelle vie. On sait de plus quelle manne mystérieuse reçoivent les Chrétiens : c’est à eux qu’il est dit : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux[3]. – Tous, poursuit l’Apôtre, ont mangé la même nourriture spirituelle. » Qu’est-ce à dire, la même ? Elle avait la même signification. « Et tous ont bu le même breuvage spirituel. » Mais remarquez comment il n’explique que ce dernier trait et passe les autres sous silence. « Car ils buvaient, dit-il, de l’eau de la pierre spirituelle qui les suivait ; or cette pierre était le Christ. Et toutes ces choses étaient pour nous des figures[4]. » Ils les voyaient, mais elles devaient nous instruire ; elles tombaient sous leurs sens, mais elles devaient se révéler à notre esprit. Aussi tous ceux qui n’y ont vu que ce qui est sensible appartiennent à l’ancien Testament.
11. Considérez maintenant qu’Isaac était vieux. De qui fit-il le rôle quand il voulut bénir son fils aîné[5] ? Il était vieux ; dans la vieillesse je vois l’ancienneté et dans l’ancienneté le Testament ancien. Mais parce que l’ancien Testament n’était point compris de ceux qui furent sous la nuée, il est dit que les, yeux d’Isaac s’étaient obscurcis. Cet obscurcissement des yeux d’Isaac signifie donc l’obscurcissement de l’esprit des juifs, et la vieillesse d’Isaac désigne l’antiquité du Testament ancien. Quoi de plus, mes frères ? Isaac veut bénir spécialement son fils aîné Esaü. La mère aimait le plus jeune, et le père son aîné, en tant que fils aîné : il était également juste pour l’un et pour l’autre, mais il avait plus d’affection pour

  1. Rom. 8, 24-25
  2. Exod. 16, 13
  3. Ps. 33, 9
  4. 1 Cor. 10, 1-4, 6
  5. Gen. 27, 1