Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/21

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le premier-né. Il veut donc bénir l’aîné, parce que les promesses de l’ancien Testament s’adressaient au premier peuple de Dieu. Il n’a de promesse que pour les Juifs, à eux il semble tout assurer, tout réserver. Il les tire d’Égypte, les délivre de leurs ennemis, leur fait passer la mer, les nourrit de la manne, leur donne le Testament, la loi, les promesses, la terre même de la promesse. Il n’est donc pas étonnant qu’Isaac ait voulu bénir son fils aîné. Mais sous la figure de cet aîné, c’est sur le plus jeune que descend la bénédiction. La mère représente l’Église. Croyez-le, mes frères, l’Église n’est pas seulement dans les saints qui parurent après l’avènement et la naissance du Sauveur ; tous les saints, quel qu’ils soient, appartiennent à l’Église. Abraham n’est-il pas à nous, quoiqu’il ait vécu avant que le Christ naquît d’une Vierge, et que nous ne soyons devenus Chrétiens que si, longtemps après la passion du Christ ? Mais l’Apôtre assure que nous devenons les enfants d’Abraham en imitant la foi d’Abraham[1]. Quoi donc ! C’est en imitant sa foi que nous sommes admis dans l’Église, et lui n’y sera point admis ? Cette Église est représentée par Rebecca, l’épouse d’Isaac ; elle était aussi dans les saints Prophètes qui comprenaient l’ancien Testament, car ces promesses charnelles désignaient pour eux je ne sais quoi de spirituel. Aussi les spirituels sont avec le fils puîné ; car celui-ci est spirituel comme l’aîné charnel.
12. Déjà nous disions hier à votre sainteté qu’Esaü est appelé l’aîné parce que nul ne devient spirituel qu’après avoir été charnel. Mais on sera toujours Ésaü si l’on continue à vivre de la prudence de la chair ; et si l’on devient spirituel, on sera alors le fils plus jeune, plus jeune et plus grand que l’aîné ; celui-ci ne devançant que par l’âge et l’autre devançant par la vertu. Aussi bien Jacob ayant fait cuire des lentilles, Ésaü voulut en manger avant de se présenter à la bénédiction paternelle. « Donne-moi ton droit d’aînesse, lui dit Jacob, et je te donnerai ces lentilles que j’ai préparées[2]. » Il vendit ce droit d’aînesse à son jeune frère. L’un y gagna le plaisir d’un moment et l’autre une éternelle dignité. C’est donc manger des lentilles que d’être dans l’Église asservi aux plaisirs du temps. Jacob fit cuire ces lentilles sans en manger. C’est que les idoles étaient adorées surtout par les Égyptiens avides de lentilles. Les lentilles désignent d’ailleurs toutes les erreurs des païens. Et comme Jacob représentait la plus grande et la plus illustre portion de l’Église qui vient de la gentilité, Jacob fit cuire les lentilles, Ésaü les mangea, c’est-à-dire que la gentilité rejeta les idoles qu’elle adorait, tandis que les Juifs s’y asservirent. N’avaient-ils pas le cœur tourné vers l’Égypte lorsqu’ils parcouraient le désert ? Même après que leurs ennemis furent morts dans la mer et engloutis sous les flots, ils voulurent se faire une idole. Ils ne voyaient point Moïse[3] et ils ne comprenaient point que Dieu était présent ; trop confiants dans la présence d’un homme que leurs yeux ne rencontraient plus, ils commencèrent à croire que Dieu n’était plus là, et pourtant c’était lui seul qui opérait ces étonnantes merveilles par le ministère de Moïse. Si du regard charnel ils cherchèrent un homme, c’est que pour voir bien dans Moïse ils n’avaient point le regard du cœur. Aussi parce que tournés vers l’Égypte ils se nourrissaient en quelque sorte de ses lentilles, ils perdirent la prééminence. Appliquez-vous ceci à vous-mêmes. Il y a un peuple chrétien. Or les premiers dans ce peuple sont ceux qui appartiennent à Jacob. Pour ceux qui vivent d’une manière charnelle, qui croient charnellement, qui espèrent charnellement ; qui aiment charnellement, ils sont encore de l’ancien Testament et non du Nouveau ; ils partagent le sort d’Ésaü et non la bénédiction de Jacob.
13. Que votre sainteté fasse bien attention. Le vieil Isaac, dont la vue était obscurcie, voulait donc bénir son fils aîné ; c’est que le vieux Testament s’adressait aux Juifs. Ils ne le comprenaient pas ; c’est ce qu’indiquent les yeux obscurcis. Je le répète donc, mes frères, il s’adresse à l’aîné et la bénédiction descend sur le plus jeune. En effet, cette mère, qui se montre dans tous les saints, c’est-à-dire l’Église, comprenait la prophétie et elle donna à son fils puîné le conseil suivant : « Moi-même j’ai entendu ton père disant à Ésaü : Va, apporte-moi à manger de ta chasse, afin que mon âme te bénisse avant que je meure. — Maintenant donc, mon fils, écoute-moi. Elle lui donna alors le conseil d’aller chercher deux chevreaux dans le troupeau voisin ; elle s’engageait à les apprêter comme elle savait que le père les aimait ; celui-ci en devait manger et bénir son plus jeune fils durant l’absence de

  1. Rom. 15, 12 ; Galat. 3, 7
  2. Gen. 25, 31
  3. Exod. 32, 1