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BLEU.

obstacle si insurmontable, elle se coucha au pied de la montagne, résolue de s’y laisser mourir, quand elle se souvint des œufs, que la fée lui avait donnés. Elle en prit un : « Voyons, dit elle, si elle ne s’est point moquée de moi, en me promettant les secours dont j’aurais besoin. » Dès qu’elle l’eut cassé, elle y trouva des petits crampons d’or, qu’elle mit à ses pieds et à ses mains. Quand elle les eut, elle monta la montagne d’ivoire sans aucune peine, car les crampons entraient dedans, et l’empêchaient de glisser. Lorsqu’elle fut tout au haut, elle eut de nouvelles peines pour descendre, toute la vallée était d’une seule glace de miroir. Il y avait au tour plus de soixante mille femmes qui s’y miraient avec un plaisir extrême ; car ce miroir avait bien deux lieues de large et six de haut : chacune s’y voyait selon ce qu’elle voulait être. La rousse y paraissait blonde, la brune avait les cheveux noirs, la vieille croyait être jeune, la jeune n’y vieillissait point ; enfin tous les défauts y étaient si bien cachés, qu’on y venait des quatre coins du monde. Il y avait de quoi mourir de rire, de voir les grimaces et les minauderies que la plupart de ces coquettes faisaient. Cette circonstance n’y attirait pas moins d’hommes : le miroir leur plaisait aussi. Il faisait paraître aux uns de beaux cheveux, aux autres la taille plus haute et mieux prise, l’air martial et meilleure mine. Les femmes dont ils se moquaient ne se moquaient pas moins d’eux ; de sorte que l’on appelait cette montagne de mille noms différens.