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LUTIN

un rival aimé : il le ressentit vivement ; et pour en être convaincu par ses yeux, il se souhaita le soir dans la chambre de Blondine : il y vit entrer un musicien de la plus méchante mine qu’il est possible ; il lui hurla trois ou quatre couplets qu’il avait faits pour elle, dont les paroles et la musique étaient détestables ; mais elle s’en récréait comme de la plus belle chose qu’elle eût entendue de sa vie ; il faisait des grimaces de possédé, qu’elle louait, tant elle était folle de lui ; et enfin elle permit à ce crasseux de lui baiser la main pour sa peine. Lutin, outré, se jeta sur l’impertinent musicien ; et le poussant rudement contre un balcon, il le jeta dans le jardin, où il se cassa ce qui lui restait de dents.

Si la foudre était tombée sur Blondine, elle n’aurait pas été plus surprise : elle crut que c’était un esprit. Lutin sortit de la chambre sans se laisser voir, et sur-le-champ il retourna chez lui où il écrivit à Blondine tous les reproches qu’elle méritait. Sans attendre sa réponse, il partit, laissant son équipage à ses écuyers et à ses gentils hommes : il récompensa le reste de ses gens. Il prit le fidèle Gris-de-Lin et monta dessus, bien résolu de ne plus aimer après un tel tour.

Léandre s’éloigna d’une vitesse extrême : il fut long-temps chagrin ; mais sa raison et l’absence le guérirent. Il se rendit dans une autre ville, où il apprit en arrivant qu’il y avait ce jour-là une grande cérémonie pour une fille qu’on allait mettre parmi les vestales, quoiqu’elle n’y voulût point entrer. Le prince en fut touché, il semblait que