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LUTIN

le fauteuil, et le mit sur lui. Personne ne voyait Lutin ; comment l’aurait-on vu ? il avait le petit chapeau rouge. La princesse mettait perdreaux, cailleteaux, faisandeaux sur l’assiette d’or de Bluet ; perdreaux, cailleteaux faisandeaux disparaissaient en un moment ; toute la cour disait : « Jamais chat bleu n’a mangé d’un plus grand appétit. » Il y avait des ragoûts excellens ; Lutin prenait une fourchette, et tenant la pate du chat, il tâtait aux ragoûts. Il la tirait quelquefois un peu trop ; Bluet n’entendait point raillerie, il miaulait, et voulait égratigner comme un chat désespéré. La princesse disait : « Que l’on approche cette tourte ou cette fricassée au pauvre Bluet ; voyez comme il crie pour en avoir ! » Léandre riait tout bas d’une si plaisante aventure ; mais il avait grand’soif, n’étant point accoutumé à faire de si longs repas sans boire ; il attrapa un gros melon avec la pate du chat, qui le désaltera un peu ; et le souper étant presque fini, il courut au buffet, et prit deux bouteilles d’un nectar délicieux.

La princesse entra dans son cabinet ; elle dit à Abricotine de la suivre, et de fermer la porte : Lutin marchait sur ses pas, et se trouva en tiers sans être aperçu. La princesse dit à sa confidente : « Avoue —moi que tu as exagéré en me faisant le portrait de cet inconnu, il n’est pas, ce me semble, possible qu’il soit si aimable. — Je vous proteste, madame, répliqua-t-elle, que si j’ai manqué en quelque chose, c’est à n’en avoir pas dit assez. » La princesse soupira, et se tut pour un