Page:Aulnoy - Contes des Fées (éd. Corbet), 1825.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
152
LE PRINCE

avait mis le petit chapeau rouge pour qu’elle ne le vit pas d’abord, ensuite il l’ôta ; elle l’aperçut avec une surprise extrême. Elle s’imagina que c’était une statue, car il affectait de ne point sortir de l’attitude qu’il avait choisie : elle le regardait avec une joie mêlée de crainte. Cette vision si peu attendue l’étonnait ; mais au fond le plaisir chassait la peur ; et elle s’accoutumait à voir une figure si approchante du naturel, lorsque le prince, accordant sa lyre à sa voix, chanta ces paroles :

Que ce séjour est dangereux !
Le plus indifférent y deviendrait sensible.
En vain j’ai prétendu n’être plus amoureux,
J’en perds ici l’espoir, la chose est impossible.
Pourquoi dit-on que ce palais
Est le lieu des plaisirs tranquilles ?
J’y perds ma liberté sitôt que j’y parais,
Et pour m’en garantir mes soins sont inutiles :
Je cède à mon ardent amour,
Et voudrais être ici jusqu’à mon dernier jour.

Quelque charmante que fût la voix de Léandre, la princesse ne put résister à la frayeur qui la saisit ; elle pâlit tout d’un coup, et tomba évanouie. Lutin alarmé, sauta du piédestal à terre, et remit son petit chapeau rouge pour n’être vu de personne. Il prit la princesse entre ses bras, il la secourut avec un zèle et une ardeur sans pareille : elle ouvrit ses beaux yeux, elle regarda de tous côtés comme pour le cher cher, elle n’aperçut personne ; mais elle sentit quelqu’un auprès d’elle qui lui prenait les mains, qui les baisait, qui les mouillait de larmes. Elle