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LUTIN

présenter un portrait si touchant : il faut qu’il ne m’aime point, d’exposer mon cœur à cette épreuve, ou qu’il ait bonne opinion de lui-même de se croire encore plus aimable. — J’ai entendu dire madame, répliqua Abricotine, que les Lutins sont composés d’air et de feu ; qu’ils n’ont point de corps, et que c’est seulement leur esprit et leur volonté qui agissent. — J’en suis très-aise, répliqua la princesse ; un tel amant ne peut guère troubler le repos de ma vie. »

Léandre était ravi de l’entendre, et de la voir si occupée de son portrait. Il se souvint qu’il y avait dans une grotte où elle allait souvent, un piédestal sur lequel on devait poser une Diane, qui n’était pas encore finie ; il s’y plaça avec un habit extraordinaire, couronné de lauriers, et tenant une lyre à la main, dont il jouait mieux qu’Apollon. Il attendait impatiemment que sa princesse s’y rendit comme elle faisait tous les jours : c’était le lieu où elle venait rêver à l’inconnu. Ce que lui en avait dit Abricotine, joint au plaisir qu’elle avait à regarder le portrait de Léandre, ne lui laissait plus guère de repos ; elle aimait la solitude, et son humeur enjouée avait si fort changé, que ses Nymphes ne la reconnaissaient plus.

Lorsqu’elle entra dans la grotte, elle fit signe qu’on ne la suivit pas ; ses Nymphes s’éloignèrent chacune dans des allées séparées. Elle se jeta sur un lit de gazon ; elle soupira, elle répandit quelques larmes, elle parla même ; mais c’était si bas, que Lutin ne put l’entendre. Il