Page:Aulnoy - Contes des Fées (éd. Corbet), 1825.djvu/256

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
244
LE MOUTON.

aperçue, tant ils étaient tristes, s’avança courageusement et vint se jeter aux pieds de Merveilleuse : « Madame, lui dit-elle, je viens vous offrir ma vie ; il faut me tuer ; je serai trop contente de mourir pour une si bonne maîtresse. — Ah ! je n’ai garde, ma chère Patypata, dit la princesse en la baisant ; après un si tendre témoignage de ton amitié, ta vie ne me doit pas être moins précieuse que la mienne propre. » Grabugeon s’avança et dit : « Vous avez raison, ma princesse, d’aimer une esclave aussi fidèle que Patypata ; elle vous peut être plus utile que moi ; je vous offre ma langue et mon cœur, avec joie, voulant m’immortaliser dans l’empire des magots. — Ah ! ma mignonne Grabugeon, répliqua Merveilleuse, je ne puis souffrir la pensée de t’ôter la vie. — Il ne serait pas supportable pour moi, s’écria Tintin, qu’étant un aussi bon doguin que je le suis, un autre donnât sa vie pour ma maîtresse : je dois mourir ou personne ne mourra. » Il s’éleva là-dessus une grande dispute entre Patypata, Grabugeon et Tintin ; l’on en vint aux grosses paroles ; enfin Grabugeon, plus vive que les autres, monta au haut d’un arbre, et se laissa tomber exprès la tête la première, ainsi elle se tua ; et quelque regret qu’en eût la princesse, elle consentit, puisqu’elle était morte, que le capitaine des gardes prit sa langue, mais elle se trouva si petite (car en tout elle n’était pas plus grosse que le poing), qu’ils jugèrent avec une grande douleur que le roi n’y serait point trompé.