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LE MOUTON.

« Hélas ! ma chère petite guenon, te voilà donc morte, dit la princesse, sans que ta mort mette ma vie en sûreté. C’est à moi que cet honneur est réservé, interrompit la Moresse. » En même temps, elle prit le couteau dont on s’était servi pour Grabugeon, et se’enfonça dans la gorge. Le capitaine des gardes voulut emporter sa langue : elle était si noire, qu’il n’osa se flatter de tromper le roi avec. « Ne suis-je pas bien malheureuse, dit la princesse en pleurant, je perds tout ce que j’aime, et ma fortune ne change point. — Si vous aviez voulu, dit Tintin, accepter ma proposition, vous n’auriez eu que moi à regretter, et j’aurais l’avantage d’être seul regretté. »

Merveilleuse baisa son petit doguin, en pleurant si fort qu’elle n’en pouvait plus : elle s’éloigna promptement, de sorte que lorsqu’elle se retourna, elle ne vit plus son conducteur ; elle se trouva au milieu de sa Moresse, de sa guenuche et de son doguin. Elle ne put s’en aller qu’elle ne les eût mis dans une fosse qu’elle trouva par hasard au pied d’un arbre, ensuite elle écrivit ces paroles sur l’arbre :

Ci git un mortel, deux mortelles ;
Tous trois également fidèles,
Qui voulant conserver mes jours,
Des leurs ont avancé le cours.

Elle songea enfin à sa sûreté ; et comme il n’y en avait point pour elle dans cette forêt qui était si proche du château de son père, que les premiers passans pouvaient la voir et la reconnaî-