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LE MOUTON.

Mouton, daignez m’entendre tranquillement, et vous saurez ma déplorable aventure.

» Je suis né sur le trône ; une longue suite de rois que j’ai pour aïeux m’avait assuré la possession du plus beau royaume de l’univers ; mes sujets m’aimaient, j’étais craint et envié de mes voisins, et estimé avec quelque justice ; on disait que jamais roi n’avait été plus digne de l’être ; ma personne n’était pas indifférente à ceux qui me voyaient ; j’aimais fort la chasse. M’étant laissé emporter au plaisir de suivre un cerf qui m’éloigna en peu de temps de tous ceux qui m’accompagnaient, je le vis tout d’un coup se précipiter dans un étang ; j’y poussai mon cheval avec autant d’imprudence que de témérité. Mais en avançant un peu, je sentis au lieu de la fraîcheur de l’eau, une chaleur extraordinaire. L’étang tarit, et par une ouverture dont il sortait des feux terribles, je tombai au fond d’un précipice où l’on ne voyait que des flammes.

» Je me croyais perdu, lorsque j’entendis une voix qui me dit : « Il ne faut pas moins de feux, ingrat ; pour échauffer ton cœur. — Hé, qui se plaint ici de ma froideur ? m’écriai-je. — Une personne infortunée., répliqua la voix, qui t’adore sans espoir. En même temps les feux s’éteignirent, je vis une fée que je connaissais dès ma plus tendre jeunesse, dont l’âge et la laideur m’avaient toujours épouvanté ; elle s’appuyait sur une jeune esclave d’une beauté incomparable ; elle avait des chaînes d’or qui marquaient assez sa condition. Que prodige se passe ici, Ragotte ?