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LE MOUTON.

de votre mérite ; je vous supplie, par tous les charmes qui vous rendent aimable, de me mettre en liberté, et puis nous verrons ensemble ce que je pourrai pour votre satisfaction. Ha ! traître, s’écria-t-elle, si tu m’aimais, tu ne chercherais pas le chemin de ton royaume ; dans une grotte, dans une renardière, dans les bois, dans les déserts, tu serais content. Ne crois pas que je sois novice ; tu songes à t’esquiver ; mais je t’avertis qu’il faut que tu restes ici ; et la première chose que tu feras, c’est de garder mes moutons ; ils ont de l’esprit, et parlent pour le moins aussi-bien que toi.

» En même temps elle s’avança dans la plaine où nous sommes et me montra son troupeau. Je le considérai peu ; cette belle esclave qui était auprès d’elle m’avait semblé merveilleuse. Mes yeux me trahirent. La cruelle Ragotte y prenant garde, se jeta sur elle, et lui enfonça un poinçon si avant dans l’œil, que cet objet adorable perdit sur-le-champ la vie. À cette funeste vue je me jetai sur Ragotte, et mettant l’épée à la main, je l’aurais immolée à des mânes si chers, si par son pouvoir elle ne m’eût rendu immobile. Mes efforts étant inutiles, je tombai, et je cherchais les moyens de me tuer, pour me délivrer de l’état où j’étais, quand elle me dit avec un sourire ironique : Je veux te faire connaître ma puissance ; tu es un lion à présent, tu vas devenir un mouton.

» Aussitôt elle me toucha de sa baguette, et je me trouvai métamorphosé comme vous voyez ;