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SERPENTIN

On ne saurait souffrir de maux plus rigoureux
Que les douleurs de l’absence.

Magotine n’était pas de ces fées qui dorment quelquefois ; l’envie de mal faire la tenait toujours éveillée. Elle ne manqua pas d’entendre la conversation du roi Serpentin et de son épouse. Elle vint l’interrompre comme une furie : « Ah ! ah ! dit-elle, vous vous mêlez de rimer, et de vous plaindre sur le ton de Phébus ! vraiment j’en suis bien aise : Proserpine qui est ma meilleure amie m’a priée de lui donner quelque poëte à ses gages ; ce n’est pas qu’elle en manque, mais elle en veut encore. Allons, Serpentin Vert, je vous ordonne, pour achever votre pénitence, d’aller au sombre manoir, et de faire mes complimens à la gentille Proserpine. » L’infortuné Serpentin partit aussitôt avec de longs-sifflemens : il laissa la reine dans la plus vive douleur ; elle crut qu’elle n’avait plus rien à ménager : dans son transport, elle s’écria : « Par quel crime t’avons nous déplu, barbare Magotine ? j’étais à peine au monde, que ton infernale malédiction m’ộta ma beauté, et me rendit affreuse. Peux-tu dire que j’étais coupable de quelque chose, puisque je n’avais point encore l’usage de la raison, et que je ne me connaissais pas moi-même ? Je suis certaine que le malheureux roi que tu viens d’envoyer aux enfers est aussi innocent que je l’étais ; mais achève fais-moi promptement mourir, c’est la seule grâce que je te demande. — Tu serais trop contente, lui dit Magotine, si je t’accordais ta prière ; il faut auparavant que tu puises de l’eau dans la source sans fond. »