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BIENFAISANTE.

La reine ne répliqua rien ; elle pensa qu’en dépit de la cruelle fée, elle n’avait qu’une vie à perdre, et en l’état où elle était, que pouvait-elle craindre ? Au lieu donc d’aller chercher des mouches, elle s’assit sous un if, et commença ces tristes plaintes : « Quelle sera votre douleur, mon cher époux, disait-elle, lorsque vous viendrez me chercher, et que vous ne me trouverez plus ! vous me croirez morte ou infidèle, et j’aime encore mieux que vous pleuriez la perte de ma vie, que celle de ma tendresse. L’on retrouvera peut-être dans la forêt mon chariot en pièces et tous les ornemens que j’avais pris pour vous plaire ; à cette vue vous ne douterez plus de ma mort ; et que sais-je si vous n’accorderez point à une autre la part que vous m’aviez donnée dans votre cœur ? mais au moins je ne le saurai pas, puisque je ne dois plus retourner dans le monde. »

Elle aurait continué long-temps à s’entretenir de cette manière, si elle n’avait pas entendu au-dessus de sa tête le triste coassement d’un corbeau. Elle leva les yeux, et à la faveur du peu de lumière qui éclairait le rivage, elle vit en effet un gros corbeau qui tenait une grenouille, bien intentionné de la croquer. « Encore que rien ne se présente ici pour me soulager, dit-elle, je ne veux pas négliger de sauver une pauvre grenouille, qui est aussi affligée en son espèce que je le suis dans la mienne. » Elle se servit du premier bâton qu’elle trouva sous sa main, et fit quitter prise au corbeau. La grenouille tomba,