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LA GRENOUILLE

resta quelque temps étourdie, et reprenant ensuite ses esprits grenouilliques : « Belle reine, lui dit-elle, vous êtes la seule personne bienfaisante que j’aie vue en ces lieux, depuis que la curiosité m’y a conduite. — Par quelle merveille parlez-vous, petite grenouille, répondit la reine, et qui sont les personnes que vous voyez ici ? car je n’en ai encore aperçu aucune. — Tous les monstres dont ce lac est couvert, reprit Grenouillette, ont été dans le monde ; les uns sur le trône, les autres dans la confidence de leurs souverains ; il y a même des maîtresses de quelques rois qui ont coûté bien du sang à l’État ; ce sont elles que vous voyez métamorphosées en sang-sues : le destin les envoie ici pour quelque temps, sans qu’aucuns de ceux qui y viennent retournent meilleurs et se corrigent. — Je comprends bien, dit la reine, que plusieurs méchans ensemble n’aident pas à s’amender ; mais, à votre égard, ma commère la grenouille, que faites-vous ici ? — La curiosité m’a fait entreprendre d’y venir, répliqua-t-elle ; je suis demi-fée ; mon pouvoir est borné en de certaines choses, el fort étendu en d’autres : si la fée Lionne me reconnaissait dans ses États, elle me tuerait.

— Comment est-il possible, lui dit la reine, que fée ou demi-fée, un corbeau ait été prêt à vous manger ? — Deux mots vous le feront comprendre, répondit la grenouille : lorsque j’ai mon petit chaperon de roses sur ma tête, dans lequel consiste ma plus grande vertu, je ne crains