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LA BICHE

Le prince ne lui répondit rien, il lui témoigna seulement par un signe qu’il le pouvait.

Il y a long-temps que nous avons laissé la biche au bois, je veux parler de l’incomparable princesse. Elle pleura en biche désolée, lorsqu’elle vit sa figure dans une fontaine qui lui servait de miroir : « Quoi ! c’est moi, disait-elle, c’est aujourd’hui que je me trouve réduite à souffrir la plus étrange aventure qui puisse arriver du règne des fées à une innocente princesse telle que je suis ! combien durera ma métamorphose ? où me retirer pour que les lions, les ours et les loups ne me dévorent point ? comment pourrai-je manger de l’herbe ? » Enfin elle se faisait mille questions, et ressentait la plus cruelle douleur qu’il est possible. Il est vrai que si quelque chose pouvait la consoler, c’est qu’elle était une aussi belle Biche qu’elle avait été belle princesse.

La faim pressant Désirée, elle brouta l’herbe de bon appétit et demeura surprise de ce que cela pût être. Ensuite elle se coucha sur la mousse, la nuit la surprit, elle la passa avec des frayeurs inconcevables. Elle entendait les bêtes féroces proche d’elle ; et souvent oubliant qu’elle était biche, elle essayait de grimper sur un arbre. La clarté du jour la rassura un peu, elle admirait sa beauté ; et le soleil lui paraissait quelque chose de si merveilleux qu’elle ne se lassait point de le regarder : tout ce qu’elle en avait entendu dire, lui semblait fort au-dessous de ce qu’elle voyait : c’était l’unique consolation