Page:Austen - Emma.djvu/243

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l’agréable appréhension de n’avoir plus une soirée libre.

— Je vois, dit-elle, quel genre de vie je suis appelée à mener parmi vous. Sur ma parole, nous semblons être tout à fait à la mode. De lundi prochain à samedi toutes nos soirées sont prises ! Dans ces conditions, l’existence à la campagne n’a rien de terrible : même une femme qui ne disposerait pas de mes ressources intellectuelles, ne se sentirait nullement dépaysée.

Les séjours à Bath avaient familiarisé Mme Elton avec certaines règles de l’étiquette mondaine et les dîners de Maple Grove lui servaient de modèles. Elle fut un peu offusquée de ne pas trouver deux salons partout où elle allait et de constater l’absence de glaces et de sorbets aux réunions d’Highbury. Elle se proposait, au commencement du printemps, de rendre toutes les politesses reçues en organisant une réception de grand style : elle ferait placer des tables de jeu avec des bougies séparées et des paquets de carte neuves, selon le dernier genre ; des domestiques supplémentaires seraient engagés pour présenter les rafraîchissements à l’heure voulue et dans l’ordre établi.

Emma, de son côté, avait décidé de donner un dîner en l’honneur des Elton. Elle tenait à faire comme tout le monde, afin d’éviter les commentaires. Au bout de dix minutes de conversation préalable, M. Woodhouse se résigna : il se contenta de stipuler qu’il ne serait pas assis au haut de la table. Les invités étaient tout indiqués ; outre les Elton, il y aurait les Weston et M. Knightley ; la pauvre Henriette, naturellement, serait appelée à occuper la huitième place, mais elle pria Emma de lui permettre de refuser : « Je préfère, dit-elle, ne pas me trouver en sa compagnie à moins de force majeure. Je ne me sens pas le courage de supporter sa vue ni celle de son heureuse et charmante femme. Si vous n’y voyez pas d’objection, je resterai à la maison. » C’était précisément la réponse qu’Emma désirait ; elle jugeait, en effet, inopportune une rencontre sur le terrain même des anciens errements et elle fut enchantée de la force de caractère manifestée par sa