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BILLET DE PRINTEMPS.

Tu marchais les pieds nus, sœur des bohémiens ;
Mais, n’ayant pas de champs, tu possédais les siens.
Le jeudi, le dimanche, une fois par semaine,
Tu courais de la ville à son riant domaine,
Au creux d’un doux vallon, maison qui plaît à l’œil :
« Nobles hôtes, salut ! » disais-tu dès le seuil ;
Et l’hôtesse aux grands airs, à l’indulgent sourire,
Te prenant par la main, aimait à t’introduire.
L’hiver (car tu bravais alors toute saison),
L’hiver, on s’asseyait devant un clair tison,
Feu de bois odorant glané sur les collines.
Au printemps, on cherchait le buisson d’aubépines ;
Et, sous les larges pins au mouvant parasol,
On causait, heureux groupe, étendu sur le sol.
De quoi donc parlions-nous, dans cet oubli des heures ?
Des choses qu’on estime à vingt ans les meilleures :
D’un roman de Balzac, l’avant-veille édité ;
Des vers de Lamartine en leur virginité ;
D’un chant du grand Hugo, qui, charmant ou farouche,
Tout un soir entre nous errait de bouche en bouche,
Comme la coupe antique à la table des rois !…
Enfin, ceci soit dit, ô Muse, à demi-voix,
De nos propres essais, vaillantes entreprises,
Et de mes jeunes vers dont s’amusaient les brises.