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LA VIE RURALE.

Exaltaient, soulevaient ton poitrail héroïque !
Tempérant ton ardeur d’un instinct de pitié,
Tu passais sur les morts sans les toucher du pié,
Et, digne ami d’un chef dont tu servais la gloire,
Sentais autant que lui l’orgueil de la victoire !

Les jours passent pourtant, et les nobles travaux ;
Et quiconque vieillit fait place à des rivaux.
Usé par le service encor plus que par l’âge,
Tu vins un jour : c’était jour de foire au village.
D’un illustre soldat, toi, le fier compagnon,
Tu marchais, amené par un vil maquignon.
Il prôna tes vertus aux hommes de la grange,
Et, le dirai-je, hélas ! te vendit en échange,
Ô tristesse ! ô leçon pour ton ancien orgueil !
Contre une jument grise à qui manquait un œil !

— Dès lors, noble animal, ta sombre destinée
Glisse de jour en jour sur la pente inclinée.
On te met au labour, et, d’un air de chagrin,
Tu creuses le sillon préparé pour le grain.
Plus de propos flatteur, de main qui te caresse.
Par un injuste maître accusé de paresse,
Tout labeur te réclame impitoyablement :