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À NOIRAUD.

Tu portes au moulin les sacs lourds de froment ;
Tu portes aux marchés, où le pays s’attroupe,
La fermière massive avec son fils en croupe ;
Et chaque jour, enfin, accablé de jurons,
Tu vas distribuer l’herbage aux environs.
Bientôt, rude ouvrier toujours plus subalterne,
Tu seras un de ceux qu’on met à la citerne ;
On te verra tourner, pour puiser un peu d’eau,
Tourner sans fin, les yeux sanglés d’un noir bandeau,
Morne, et ne pouvant plus, d’un revers de ta queue,
Écarter de tes flancs l’ardente mouche bleue !

À ce vent de malheur qui te blanchit le crin,
Marche donc jusqu’au bout, marche et ronge ton frein.
Sois le vivant débris, sois l’ombre de toi-même !
Pour moi, je te contemple, et tu m’es un emblème
De ce peuple des champs que j’aime avec amour.
Il passe, comme toi, de la guerre au labour.
Ils partirent jadis, vigoureux et superbes,
Ces hommes qui sont là, bêchant, sarclant nos herbes
Le sourire à la bouche et le cœur affermi,
Ils allèrent montrer la France à l’ennemi !
Puis on les vit rentrer chez leurs parents modestes,
De nouveau se plier aux fatigues agrestes,