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LA VIE RURALE.

Tel est d’un crayon sûr l’industrieux pouvoir,
Ce qu’il peint à l’esprit, l’œil même croit le voir :
Je voyais donc se perdre et s’agiter dans l’ombre
Tout un peuple fiévreux de travailleurs sans nombre.
Pour qui le Dieu clément semble, hélas ! n’avoir fait
Ni l’azur ni les fleurs, inutile bienfait.
Race morne et proscrite, engeance condamnée ! —
Avec toi, j’assistais à leur âpre journée :
Je les voyais sortir, sitôt que le jour luit,
Des obscurs galetas, des antres où, la nuit,
Le vieillard et l’enfant, et l’homme et sa femelle
Sur un grabat commun croupissent pêle-mêle.
Où vont-ils à travers les sombres carrefours ?
Harassé dès l’aurore et marchant à pas lourds,
Où va le père ? Il va, dans une infecte usine,
Mettre en jeu quelque énorme et hurlante machine ;
Haletant, nu, sinistre, alourdi de stupeur,
Il va vivre, s’il peut, au sein d’une vapeur
Qui ronge les poumons et dessèche la gorge,
Nourrir une fournaise, attiser une forge,
Soulever des marteaux, pousser un balancier,
User sa chair saignante à des engins d’acier,
Heureux si ce métal qui vous happe et vous broie
Ne l’attire lui-même et n’avale sa proie !…