Page:Avezac-Lavigne - Diderot et la Société du baron d’Holbach, 1875.djvu/145

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sa mignardise, lui donne l’air d’une vieille coquette qui fait encore l’aimable, la position d’un secrétaire d’État et non d’un philosophe. La fausseté du premier moment a influé sur tout le reste. C’est cette folle de madame Vanloo, qui venait jaser avec lui tandis qu’on le peignait, qui lui a donné cet air-là qui a tout gâté. Si elle s’était mise à son clavecin, et qu’elle eût préludé ou chanté :


Non ha ragione, ingrato.
Un core abbandonato,


ou quelque autre morceau du même genre, le Philosophe sensible eût pris un tout autre caractère ; et le portrait s’en serait ressenti. Ou mieux encore, il fallait le laisser seul, et l’abandonner à sa rêverie. Alors, sa bouche se serait entr’ouverte, ses regards distraits se seraient portés au loin, le travail de sa tête, fortement occupée, se serait peint sur son visage ; et Michel eût fait une belle chose. Mon joli Philosophe, vous me serez à jamais un témoignage précieux de l’amitié d’un artiste, excellent artiste, plus excellent homme. Mais que diront mes petits-enfants, lorsqu’ils viendront à comparer mes tristes ouvrages avec ce riant, mignon, efféminé, vieux coquet-là ? Mes enfants, je vous préviens que ce n’est pas moi. J’avais en une journée cent physionomies diverses, selon la chose dont j’étais affecté. J’étais serein, triste, rêveur, tendre, violent, passionné, enthousiaste ; mais je ne fus jamais tel que vous me voyez là. J’avais un grand front, des yeux très-vifs, d’assez grands traits, la tête tout à