Page:Avezac-Lavigne - Diderot et la Société du baron d’Holbach, 1875.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle-même, sentant sa fin prochaine, avait, par une faiblesse qui n’est pas sans exemple, et sur les conseils de sa fille, madame de la Ferté-Imbaut, rompu avec tous les encyclopédistes. À partir de ce moment, cette dame, qui avait dépensé plus de cent mille écus pour soutenir l’Encyclopédie, consigna à sa porte Marmontel, Morellet, et jusqu’à son meilleur ami, d’Alembert[1].

Au sujet du changement que la maladie avait apportée dans les opinions de madame Geoffrin, l’abbé Galiani écrivait de Naples à madame d’Épinay : « Votre dernière lettre me parle du malheur de madame Geoffrin ; elle succombe aux lois de la nature et du temps, comme les édifices les plus

  1. Voici comment d’Alembert annonce au roi de Prusse la maladie de madame Geoffrin et les circonstances qui l’accompagnèrent : « Cette femme respectable, pleine d’esprit et de vertu qui, depuis trente ans, avait pour moi l’amitié la plus tendre, qui, tout récemment encore, m’avait procuré, dans mon malheur, toutes les consolations ou les distractions que cette amitié lui avait fait imaginer, est frappée depuis plus d’un mois d’une paralysie qui l’a presque entièrement privée du sentiment et de la parole, et qui ne laisse aucune espérance, non-seulement de la conserver, mais même de la revoir encore. Sa famille, qui ne lui ressemble guère, dévote, ou feignant de l’être, mais plus sotte encore que dévote, et affichant, sans savoir pourquoi, une haine stupide des philosophes et de la philosophie, m’ôte en ce moment jusqu’à la déplorable consolation d’être auprès de cette digne femme, de lui rendre tous les soins que ma tendresse pour elle pourrait me suggérer, et que peut-être la pauvre malade ne sentirait pas, mais qui du moins satisferaient mon cœur. Je perds ainsi, dans l’espace de quelques mois, les deux personnes que j’aimais le plus et dont j’étais le plus aimé. Voilà, Sire, la malheureuse situation où je me trouve, le cœur affaissé et flétri, et ne sachant que faire de mon âme et de mon temps. » (Lettre du 7 octobre 1776).