Page:Azaïs - Jugement philosophique sur J.J. Rousseau et sur Voltaire.djvu/22

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vement dénaturé, il le rend dramatique pour s’enhardir et se rassurer. Il se rassure en effet ; car, bientôt il ne se vante ni ne s’accuse ; il prouve ainsi, d’une manière frappante, que la barbarie dans la conduite peut naître de l’erreur dans les opinions.

Cependant, je le répète, quelques années plus tôt, ou quelques années plus tard, J.-J. Rousseau n’aurait point fait cet abandon insensé et coupable. Dans sa jeunesse, il n’avait point, à beaucoup près, l’idée de ses talens ni le soupçon de sa destinée. Son âme, à la fois généreuse et simple, était prête à s’ouvrir de préférence aux plus sages principes et aux plus tendres plaisirs. Mais lorsque des succès inattendus commencèrent à lui donner le sentiment de ses forces ; lorsqu’il se crut appelé à faire une grande impression sur les hommes, toutes ses qualités se subordonnèrent à l’ambition de renommée, et au besoin plus pressant encore de suivre en lui-même ses pensées tumultueuses. Il fallut à son esprit un plein loisir, qu’il crut incompatible avec les soins de famille ; il mit de la roideur dans ses dispositions habituelles ; il s’isola pour se rendre plus libre, il se dénatura pour se rendre plus fort. Dans la suite, averti, quoique non éclairé, par le mal-