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« Bénis ton sort. Par toi la poésie
« A d’un grand peuple ému les derniers rangs.
« Le chant qui vole à l’oreille saisie,
« Souffla tes vers, même aux plus ignorants.
« Vos orateurs parlent à qui sait lire ;
« Toi, conspirant tout haut contre les rois,
« Tu marias, pour ameuter les voix,
« Des airs de vielle aux accents de la lyre. »
Adieu, chansons ! mon front chauve est ridé.
L’oiseau se tait ; l’aquilon a grondé.

« Tes traits aigus, lancés au trône même,
« En retombant aussitôt ramassés,
« De près, de loin, par le peuple qui t’aime,
« Volaient en chœur, jusqu’au but relancés.
« Puis quand ce trône ose brandir son foudre,
« De vieux fusils l’abattent en trois jours.
« Pour tous les coups tirés dans son velours,
« Combien ta muse a fabriqué de poudre. »
Adieu, chansons ! mon front chauve est ridé.
L’oiseau se tait ; l’aquilon a grondé.

« Ta part est belle à ces grandes journées,
« Où du butin tu détournas les yeux.
« Leur souvenir, couronnant tes années,
« Te suffira, si tu sais être vieux.
« Aux jeunes gens raconte-s-en l’histoire ;
« Guide leur nef ; instruis-les de l’écueil ;
« Et de la France, un jour, font-ils l’orgueil,
« Va réchauffer ta vieillesse à leur gloire. »
Adieu, chansons ! mon front chauve est ridé.
L’oiseau se tait ; l’aquilon a grondé.