Page:Béranger, oeuvres complètes - tome 3.pdf/182

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Jules César jusqu’au cardinal de Mazarin, les hommes d’état ont peu redouté ceux qui chantaient.

« Telle est la chanson, ou plutôt, messieurs, telle était la chanson chez nos pères, car, depuis les siècles où l’on riait encore en France, cet enfant gâté du Parnasse s’est étrangement émancipé. Profitant de l’indulgence qui lui était acquise, plus d’une fois pendant nos révolutions publiques les perturbateurs le mirent à leur école, ils réchauffèrent de leur ardeur, ils en firent l’auxiliaire du libelle et des plus audacieuses diatribes. Dès lors un sarcasme impie remplaça la joie naïve ; une hostilité meurtrière succéda au badinage d’une critique ingénieuse. Des refrains insultants furent lancés avec dérision sur les objets de nos hommages ; bientôt ils stimulèrent tous les excès de l’anarchie, et la muse des chants populaires devint une des furies de nos discordes civiles.

« Lorsque les chansons peuvent s’écarter ainsi de leur véritable genre, auront-elles droit à la faveur que ce genre inspirait ? Leur suffira-t-il du titre de chansons pour conquérir impunément le scandale et pour échapper à la répression judiciaire ? Si telle était leur dangereuse prérogative, bientôt la prose leur céderait en entier la mission de corrompre, et l’on chanterait ce qu’on n’oserait pas dire.

« Vous sentez donc la nécessité de distinguer telles chansons de telles autres qui n’en portent que le nom. Faites une large part dans l’indulgence pour ces couplets espiègles et malins, qu’il y aurait sans doute trop de rigueur à priver d’une certaine liberté de langage. Qu’ils vivent aux dépens des travers des faiblesses humaines, qu’ils puissent même confondre le bruit de leurs joyeux grelots avec les murmures de l’opposition. Mais si, plus téméraires que ne le