Page:Béranger, oeuvres complètes - tome 3.pdf/183

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fut jamais cette opposition, ils attaquent ce qui est inviolable et sacré ; si Dieu, la religion, la légitimité, sont tour à tour le sujet de leurs outrages, sous quels prétextes pourraient-ils être épargnés ? Est-ce parce que la chanson se grave aisément dans la mémoire, qu’elle est de facile réminiscence, et que le sel piquant qui l’assaisonne est un salpêtre électrique prompt à ébranler les esprits ? Est-ce parce qu’elle peut fournir des refrains tout préparés aux orgies de la sédition et aux mouvements insurrectionnels ? Est-ce parce que, circulant avec rapidité, elle pénètre en même temps dans les villes et les hameaux, également comprise de toutes les classes ? Tandis que la brochure la plus coupable n’exerce que dans un cercle étroit sa mauvaise influence, la chanson, plus contagieuse mille fois, peut infecter jusqu’à l’air qu’on respire. Et d’ailleurs ici se présente une observation dont vous apprécierez le mérite. Qu’une chanson exhalée dans un instant de verve et d’ivresse circule, non par la voie de l’impression, mais parce qu’elle est chantée dans le monde, c’est un bruit passager que le vent emporte et dont bientôt il ne reste plus de vestiges. La justice pourra le dédaigner et ne pas faire contraster la gravité de ses poursuites avec le vague et la légèreté d’un pareil genre de publication. Mais qu’un auteur mette au jour un recueil de poésies qu’il lui plaît d’appeler des chansons ; qu’il donne ce nom à des satires réunies, à des dithyrambes, à des odes pleines d’agression et d’audace, vous ne verrez plus ici que des vers qu’on peut lire sans être obligé de les chanter ; et si cet auteur croyait pouvoir égayer sa défense de toutes les idées frivoles et plaisantes que réveille la chanson, vous sentiriez d’abord dans quelle méprise il voudrait vous engager, car apparemment qu’il ne prétendrait