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WOZZECK

Le docteur (fait semblant de l’apercevoir à l’instant même et agite son chapeau). — Eh ! bonjour, monsieur le capitaine ! (Il lui présente son chapeau) Qu’est-ce que cela ? Monsieur le capitaine, c’est — tête creuse !

Le capitaine (fait un pli à son habit.). — Et qu’est-ce que cela, monsieur le docteur ? c’est — simplicité. Ha ha ha ! Mais ne le prenez pas en mal. Je suis un brave homme, mais je puis aussi, quand je veux !… Monsieur le docteur, je vous le dis, quand je veux —

(Wozzeck passe rapidement devant eux, et salue).

Le capitaine. — Hé ! Wozzeck ! Pourquoi passes-tu si vite devant nous ? Reste donc, Wozzeck ! Tu parcours le monde comme un rasoir ouvert, on se coupe à toi ! Tu cours comme si tu avais à raser un régiment de queues de chats, et comme si tu devais être pendu au cas où il resterait un seul poil — mais à cause des longues barbes — que voulais-je donc dire — les longues barbes.

Le docteur. — Une longue barbe au menton — déjà Pline en parle — on doit en déshabituer les soldats —

Le capitaine. — Ha ! les longues barbes ! Qu’y a-t-il, Wozzeck ? N’as-tu pas trouvé un poil de barbe dans ton assiette ? Ha ! ha ! — Tu me comprends ? Un poil d’homme ! De la barbe d’un sapeur — ou d’un sous-officier — ou d’un tambour-major. Hé ! Wozzeck ? Mais tu as une honnête femme, hé ?

Wozzeck. — Oui, certes ! Que voulez-vous dire, monsieur le capitaine ?

Le capitaine. — Quelle mine fait le drôle ! Ha ! ha ! mais ce n’est pas précisément dans ta soupe. Tu peux, en te hâtant et en tournant l’angle de la rue, en trouver peut-être un encore sur une paire de lèvres. Oui, un poil ! D’ailleurs, une paire de lèvres, Wozzeck, une paire de lèvres ! Oh ! moi aussi j’ai connu l’amour ! — mais, drôle, te voilà pâle comme la mort !