Page:Baillot - Ballades, AC, vol. 67.djvu/6

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

une nichée d’oiseaux que la mère apeurée faisait taire pour échapper au danger, les petites ouvrières babillent éperdument et s’égosillent en demandes qui n’attendent pas de réponses et en petits cris à peine étouffés. La journée est finie, une journée harassante suivie de tant d’autres où les maigres salaires vont s’amassant pour se payer des colifichets et des rubans criards qui se graissent à leurs cheveux.

La surveillante, la chienne de l’atelier, qui épie les conversations pour les rapporter à la patronne, ôte ses lunettes qui s’embuent et, secouant la chaufferette où s’éteint un charbon maigre, se lâche bruyamment. Son sale métier prend fin et entre ses dents jaunes elle a un mauvais sourire en songeant aux amendes distribuées, aux réprimandes lancées à tort et à travers par dessus la tête des trottins qui lui font des pieds de nez. Et la vieille fille, qui partage ses affections entre un perroquet mal éduqué et un chat miteux qui ronronne près du feu, se délecte par avance aux douceurs d’un café mélangé de chicorée et rehaussé d’un peu d’alcool acheté chez l’épicier. Une rincette et peut-être une sur-rincette, car c’est demain dimanche.

La grande salle se vide, et, dans un désordre sans fin, les chaises bouleversées, les bouts d’étoffe plaqués par terre, s’augmente la tristesse. Une ruche abandonnée. Un jour blafard passe à travers les rideaux pisseux et l’allumeur de réverbères sème des milliers d’étoiles dans Paris brumeux où les trottins effrontés sautillent sur les trottoirs.


II


Les voici dans la rue bruyante et les gamines goguenardes blaguent le bourgeois qui rentre dîner, et dans leurs yeux luit l’espoir des luxures futures alors que de vieux sales ou de jeunes vicieux suivent leurs maigres derrières.

Et ce sont de naïfs étonnements devant les boutiques qui flamboient, et des désirs inavouables de convoitise montent à leur tête pour ces bijoux qui lancent leurs feux comme pour les raccrocher au passage. Les robes se gonflent sur les mannequins avec la dignité de princesses décapitées, les étoffes chatoient et les chapeaux, où dansent des plumes de prix et des oiseaux-mouches, attendent les chevelures blondes ou les torsades brunes.

C’est plus loin une boutique de pharmacien dont les bocaux remplis de solutions de sels de cuivre se profilent sur la chaussée en longues traînées de sang ou bien étrangement macabres éclairent le visage des passants qui rient vert. Les trottins se poussent du coude, se pincent pour terminer par une bordée de rires gras. Dans un coin des instruments bizarres dont elles ignorent peut-être l’usage. Une grande délurée raconte avoir trouvé dans un tiroir, chez son frère, un objet de ce genre, et son explication se termine par un