Page:Baillot - Ballades, AC, vol. 67.djvu/7

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geste canaille. Les rires redoublent au grand scandale d’un prêtre qui file en serrant contre ses fesses sa soutane fripée.

Les cafés des boulevards s’emplissent de gens qui pourraient avoir soif, les chiennes amoureuses sortent pour trouver un os à ronger et les cochers qui vont au remisage rallument leurs pipes qui brasillent dans cette soirée brumeuse où les trottins par bandes sautillent sur les trottoirs.


III


Mais ce sont là plaisirs d’enfants qui s’attardent à baguenauder à la devanture des magasins. Les grandes tourmentées de névrose, rongées d’anémie, courent aux rendez-vous des gamins de leur âge, sous les passages, près des squares, et là se donnent avec toute la soif de leurs lèvres. Ce sont des chuchotements discrets, des pressions de mains qui s’égarent, des baisers longs et brutaux, et dans leurs yeux qui luisent brille l’envie de s’accoler sans plus de gêne.

Mais il faut prendre les bouchées doubles, les trottins n’ont que quelques heures à accorder à leurs amants précoces. Parfois, dans une allée puante le couple disparaît et dans une chambre, dont les murs lépreux suintent le vice et la débauche, les fillettes perdent le précieux joyau de leur innocence. Ô Paris, gouffre sans fond, où sombrent tant de vertus ! On dit que les moulins à vent de Montmartre ne marchent plus depuis que tant de bonnets sont accrochés à leurs ailes.

Très fatiguées elles courent rejoindre le logis paternel, et, après un maigre dîner qui refroidit depuis des heures, vite se coulent dans leurs lits de fer, à côté des frères et des sœurs qu’elles salissent de leur contact. La promiscuité dans toute sa hideur, la pudeur disparaît et les filles, sans rougir, passent leurs chemises sous les yeux vicieux de leurs petits frères. Souvent même un seul lit pour tous, tant est grande la misère dans ces galetas d’ouvriers.

Mais voici le printemps, les violettes par hottées sont jetées au coin des trottoirs et dans les bois de Meudon les oiseaux font des nids pleins de duvet. Les petites ouvrières qui s’étiolent au fond des magasins ne désirent rien tant que d’aller, le dimanche, courir dans les environs de Paris, et, pour une promenade au Point du Jour, pour une friture à Auteuil, elles se vendraient ingénument. Les lovelaces des magasins, les calicots pommadés connaissent bien le pouvoir charmeur des pommes de terre frites et des chansons beuglées dans les concerts des bords de la Seine. C’est un piment pour leurs amours dominicales. Aussi, les trottins s’abandonnent au premier qui les emmène, et leurs lits d’amour sont les mousses des bois, tandis que le merle dans les buissons siffle moqueusement.

Parfois l’une d’elles ne rentre plus et s’enrôle dans l’armée des malheureuses folles de leurs corps ; parfois, sentant leurs