Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/201

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le pays qui y reconnut l’accent napoléonien. L’ordre, c’était le besoin d’un peuple de petits propriétaires à qui la démocratie sociale n’apparaissait encore que sous les aspects effrayants du communisme partageur. La nationalité, la gloire, c’étaient les mots qui flattaient ses passions et ses illusions. Il fallait en finir avec les ennemis de la société qui avaient fait le rêve insensé de renverser les bases du capital et de la propriété. Mais, conservatrice du code, la France restait toujours aventureuse et idéaliste au dehors. Dès ce moment, elle était acquise à l’exécuteur testamentaire du programme de Sainte-Hélène, qui avait si bien compris, touché et ravivé ses sentiments.

Le sombre épisode des journées de Juin a été le grand drame de la classe ouvrière. Aujourd’hui nous en jugeons mieux le caractère : il fut terrible parce que c’était une crise morale qui se résolvait dans un prolétariat encore naïf. Les révoltés n’avaient pas de plan. Aucun nom de chef n’est resté de cette insurrection sanglante devant laquelle l’armée elle-même se sentit un moment découragée. On y vit sans doute des scènes ignobles, de lâches assassinats. Mais, chez le plus grand nombre, ce qui agissait, c’était l’espérance déçue, c’était la foi trompée. On retrouve, aux débuts des journées de Juin, les restes du mysticisme de Février. Pareil au polytechnicien qui avait élevé au-dessus de la foule le crucifix de la reine, Pajol, l’orateur de l’insurrection, comparait le peuple au Christ outragé, flagellé, couronné d’épines. Les journées de juin furent la guerre sacrée des faubourgs.

L’insurrection fut écrasée. Les bourgeois de la garde nationale s’y battirent avec une fureur héroïque contre le monstre du communisme, pour la propriété et pour l’héritage. Mais, de cette lutte inexpiable, la classe ouvrière vaincue sortit démoralisée pour longtemps. Lorsque le général Cavaignac et l’assemblée organisèrent sur la place de la Concorde une cérémonie d’expiation et de réconciliation à la mémoire de toutes les victimes, les emblèmes républicains apparurent comme une dérision. « On y lisait partout la devise Liberté, Égalité, Fraternité », dit Daniel Stern. « Mais elle ne faisait plus naître d’autre sentiment que celui d’une amère ironie. » De ce jour des croyances furent tuées, des cœurs flétris. Des hommes qui