Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/202

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n’avaient vécu que pour la justice portèrent un deuil. Le charme de février était rompu.

Il ne subsistait qu’une part de l’idéal révolutionnaire. Celle-là, l’expérience ne l’avait pas encore touchée. Elle restait toujours séduisante et riche de promesses parce qu’elle n’avait pas été mise à l’épreuve. Le rêve de justice sociale que la France avait fait au mois de février 1848 s’était terminé par une affreuse guerre civile. Le rêve de justice internationale ne s’était pas encore heurté aux réalités. Qui pensait alors qu’il allait engendrer des guerres sanglantes et se terminer par un choc des peuples tel qu’on n’en avait jamais vu ?

Aux premiers mois de 1848, l’avenir de la démocratie européenne paraissait si pur et si certain qu’il ne trouvait pas de sceptiques. Au milieu des délégations de toute sorte qui affluaient au Gouvernement provisoire, il n’était pas de jour qu’il ne se présentât une députation de démocrates allemands, italiens, hongrois, polonais ou espagnols. Est-ce que des États-Unis d’Europe, une Société des Nations n’allaient pas naître de ces contacts et de ces sympathies À travers tout le continent, la Russie exceptée, la formule démocratique se répandait avec une force qui semblait invincible. Tous les peuples secouaient leurs chaînes. Les dynasties réactionnaires capitulaient ou bien elles étaient renversées. Metternich et les Habsbourg étaient chassés de Vienne. La Hongrie, objet des prédilections libérales, proclamait son affranchissement. L’Allemagne allait avoir son Parlement et Berlin s’était soulevé. À Paris, on ne séparait pas le roi de Prusse de son peuple. Le libéralisme français, fidèle à la tradition du dix-huitième siècle, n’avait alors aucun doute sur les Hohenzollern et continuait à croire, comme disait Lamartine, à leur « esprit éclairé » et à leur « cœur populaire ». Une grande Allemagne, dévouée aux idées libérales sous les auspices de la Prusse, allait rendre facile et paisible le règlement de tous les problèmes européens.

C’est ainsi que Lamartine voyait l’avenir. C’est à la faveur de ces illusions qu’il traçait le programme de politique exté-