Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/366

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les représentants de ceux qui les paient, le principe était bon. La Monarchie l’acceptait. Elle avait elle-même tant de difficultés à trouver de l’argent ! Elle eût volontiers laissé la tâche à d’autres. Mais les États tombaient mal. Ils ne furent pas plus heureux que le roi. Une partie de la France était en rébellion. La Normandie, l’Artois, la Picardie n’avaient pas voulu « députer » aux États Généraux et refusèrent d’acquitter les taxes. L’assemblée de 1355 avait esquissé un gouvernement représentatif : il ne fut pas mieux obéi que l’autre et l’anarchie en fut aggravée. Les États, devant le refus des contribuables, remplacèrent les taxes sur le sel et sur les ventes par un prélèvement sur le revenu qui fut accueilli de la même manière. Cependant l’ennemi ravageait notre territoire. « La résistance aux impôts votés par les États, dit Michelet, livrait le royaume à l’Anglais. »

Jean le Bon dut se porter à la rencontre de l’envahisseur avec des troupes qui n’étaient ni mieux armées ni mieux instruites que celles de Crécy. Ces dix ans avaient été perdus dans le mécontentement et les dissensions. La France n’avait fait aucun progrès militaire. Sa seule armée, l’armée chevaleresque et féodale, se battit selon des principes qui ne valaient plus rien et recommença les fautes de Crécy. Cette fois le désastre fut complet. À Poitiers, le roi Jean, qui s’était battu en personne, la hache à la main, fut pris et emmené à Londres par les Anglais (1356).

La véritable couleur de ces événements a été gâtée par un conteur exquis et niais. Froissart ne s’arrête qu’aux coups d’estoc et de taille dont se « renlumine » son récit. La réalité ne fut pas si romanesque. Dans un pays où le désordre croissait depuis cinquante ans, la disparition du roi créa une situation révolutionnaire. Le dauphin Charles, nommé lieutenant du royaume, restait seul à Paris. Il devait, plus tard, être un de nos meilleurs souverains. C’était alors un très jeune homme, froid, d’aspect timide et chétif, précocement calculateur. Il n’eut pas d’autorité dans Paris, déjà grande ville tumultueuse. On vit alors tous les phénomènes de la « débâcle ». À la nouvelle de la catastrophe de Poitiers, on chercha les responsables. On accusa les nobles, c’est-à-dire les militaires. On cria à la trahison. Le dauphin ayant convoqué les États Généraux,