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L’HOMME DE COUR

XLVII

Éviter les engagements.

C’est une des principales maximes de la prudence. Dans les grandes places il y a toujours une grande distance d’un bout à l’autre ; il en est de même des grandes affaires. Il y a bien du chemin à faire avant que d’en voir la fin ; c’est pourquoi les sages ne s’y engagent pas volontiers. Ils en viennent le plus tard qu’ils peuvent à la rupture, attendu qu’il est plus facile de se soustraire à l’occasion que d’en sortir à son honneur. Il y a des tentations du jugement, il est plus sûr de les fuir que de les vaincre. Un engagement en tire après soi un autre plus grand, et d’ordinaire le précipice est à côté. Il y a des gens qui, de leur naturel, et quelquefois aussi par un vice de nation, se mêlent de tout, et s’engagent inconsidérément. Mais celui qui a la raison pour guide va toujours bride en main ; il trouve plus d’avantage à ne se point engager qu’à vaincre, et, quoiqu’il y ait quelque étourdi tout prêt de commencer, il se garde bien de faire le deuxième.

XLVIII

L’homme de grand fonds.

Plus on a de fonds, et plus on est homme. Le dedans doit toujours valoir une fois plus que ce qui paraît dehors. Il y a des gens qui n’ont que la façade, ainsi que les maisons que l’on n’a pas achevé de bâtir faute de fonds. L’entrée sent