Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/193

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m’a-t-il dit, là, dans le jardin avant le déjeuner, n’expose pas, l’année prochaine, un chef-d’œuvre, il doit abandonner la grande sculpture et s’en tenir aux idylles, aux figurines, aux œuvres de bijouterie et de haute orfévrerie ! » Cet arrêt m’a causé la plus vive peine, car Wenceslas n’y voudra jamais souscrire, il se sent, il a tant de belles idées…

— Ce n’est pas avec des idées qu’on paye ses fournisseurs, fit observer Lisbeth, je me tuais à lui dire cela… C’est avec de l’argent. L’argent ne s’obtient que par des choses faites, et qui plaisent assez aux bourgeois pour être achetées. Quand il s’agit de vivre, il vaut mieux que le sculpteur ait sur son établi le modèle d’un flambeau, d’un garde-cendres, d’une table, qu’un groupe et qu’une statue, car tout le monde a besoin de cela, tandis que l’amateur de groupes et son argent se font attendre pendant des mois entiers…

— Tu as raison, ma bonne Lisbeth ! dis-lui donc cela ; moi, je n’en ai pas le courage… D’ailleurs, comme il le disait à Stidmann, s’il se remet à l’ornement, à la petite sculpture, il faudra renoncer à l’Institut, aux grandes créations de l’art, et nous n’aurons plus les trois cent mille francs de travaux que Versailles, la ville de Paris, le ministère nous tenaient en réserve. Voilà ce que nous ôtent ces affreux articles dictés par des concurrents qui voudraient hériter de nos commandes.

— Et ce n’est pas là ce que tu rêvais, pauvre petite chatte ! dit Bette en baisant Hortense au front, tu voulais un gentilhomme dominant l’art, à la tête des sculpteurs… Mais c’est de la poésie, vois-tu… Ce rêve exige cinquante mille francs de rente, et vous n’en avez que deux mille quatre cents, tant que je vivrai ; trois mille après ma mort.

Quelques larmes vinrent dans les yeux d’Hortense, et Bette les lappa du regard comme une chatte boit du lait.

Voici l’histoire succincte de cette lune de miel, le récit n’en sera peut-être pas perdu pour les artistes.

Le travail moral, la chasse dans les hautes régions de l’intelligence, est un des plus grands efforts de l’homme. Ce qui doit mériter la gloire dans l’Art, car il faut comprendre sous ce mot toutes les créations de la Pensée, c’est surtout le courage, un courage dont le vulgaire ne se doute pas, et qui peut-être est expliqué pour la première fois ici. Poussé par la terrible pression de la misère,