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CONTES DRÔLATIQUES.

pour ce qu’il estoyt moins vétillant et plus profondément entreprins que tous aultres.

Celluy-là se tenoyt coy, tousiours collé au mesme pilier, n’en bougeant point, et vrayment ravy de la seule veue de la dame qu’il avoyt esleue pour sienne. Son pasle visaige estoyt doulcement mélancholisé. Sa physionomie faisoyt preuve d’ung cueur bien estoffé, un de ceulx qui se nourrissent d’ardentes passions et s’abyment délicieusement dans les désespérances d’ung amour sans advenir. De ces gens, il y en a peu, pour ce que, d’ordinaire, on ayme plus ceste chouse que vous sçavez que les félicités incogneues gisant et florissant au tresfunds de l’ame.

Cedict gentilhomme, encore que ses vestemens feussent de bonne fasson et propres et simples, ayant mesmes un certain goust respandu dans les agencemens, sembloyt à la connestable debvoir estre ung paouvre chevalier querant fortune et venu de loing avecques sa cappe et son espée pour tout potaige. Aussy tant par soubçon de sa secrette misère, tant pour ce qu’elle en estoyt bien aymée, ung peu pour ce qu’il avoyt bonne contenance, beaulx cheveulx noirs, bien longs, belle taille, et qu’il restoyt humble et soubmis à tout, la connestable luy soubhaitoyt la faveur des femmes et de la fortune. Puis, pour ne point chommer de guallans, et par ung penser de bonne mesnaigiere, elle le reschauffoyt, suivant ses phantaisies, par quelques menus suffraiges, petits resguards, qui serpentoyent devers luy comme de mordans aspics ; se mocquant de tout l’heur de ceste ieune vie, en princesse accoustumée à iouer des obiets plus prétieux que n'estoyt ung simple chevalier. En effect, son mary le connestable hasardoyt