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LES CONTES DRÔLATIQUES.

cuydoyt me faire… Laissez votre main là, dit-elle… Vraiement, elle est sur mon ame et la touche ! …

A ce discours, le chevalier, restant trez-piteux de mine, confessa naïfvement à sa dame que il sentoyt tant de félicitez à ce touchier que les douleurs de son mal croissoyent beaucoup, et que la mort estoyt préférable à ce martyre.

— Mourons doncques, dit-elle.

Mais la lictière estoyt en la cour de l’hostel ; et comme il n’y avoyt aulcun moyen de mourir, ung chacun d’eulx se couchia loing de l’aultre, bien encombré d’amour, Lavallière ayant perdu sa belle Limeuil, et Marie d’Annebault ayant gaigné des iouissances sans pareilles.

Par cet estrif qui n’estoyt point préveu, Lavallière se treuva mis au ban de l’amour et du mariaige ; il n’osa plus se monstrer nulle part, et il veit que la guarde d’ung caz de femme coustoyt bien chier ; mais plus il despendoyt d’honneur et de vertus, plus il rencontroyt de plaisir à ces haults sacrifices offerts à sa fraternité. Cependant son debvoir luy feut trez-ardu, trez-espineux et intolérable à faire aux derniers iours de sa guette. Vécy comme.

L’adveu de son amour qu’elle cuydoyt partagié, le tort advenu par elle à son chevalier, la rencontre d’ung plaisir incogneu, communicquèrent moult hardiesse à la belle Marie, qui cheut en amour platonicque, légierement tempéré par les menus suffraiges dont le dangier estoyt nul. De ce vindrent les diabolicques plaisirs de la petite oie, inventée par les dames qui, depuis la mort du roy Françoys, redoubtoyent de se contagionner, mais vouloyent estre à leurs amans ; et, à ces cruelles délices du touchier, pour iouer son roole, Lavallière ne pouvoyt aulcunement se reffuser. Par ainsy, tous les soirs, la dolente Marie attachoyt son hoste à sa iuppe, luy tenoyt les mains, le baisoyt par ses resguards, colloyt gentement sa ioue à la sienne ; et, dans ceste vertueuse accointance, où le chevalier estoyt prins comme ung diable dans ung benoistier, elle luy parloyt de son grant amour, lequel estoyt sans bornes, veu qu’il parcouroyt les espaces infinis des dezirs inexaulcez. Tout le feu que les dames boutent en leurs amours substantielles, lorsque la nuict n’ha point d’autres lumières que leurs yeulx, elle le trans-