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LE FRÈRE D’ARMES.

feroyt dedans les gects mysticques de sa teste, les exultations de son ame et les ecstases de son cueur. Alors naturellement et avecques la ioye délicieuse de deux anges accouplez d’intelligence seulement, ils entonnoyent de concert les doulces litanies que répétoyent les amans de ce temps en l’honneur de l’amour, antiennes que l’abbé de Thelesme ha paragraficquement saulvées de l’oubly, en les engravant aux murs de son abbaye, située, suyvant maistre Alcofribas, dans nostre pays de Chinon, où ie les ay veues en latin et translatées icy pour le prouffict des chrestiens.

— Las ! disoyt Marie d’Annebault, tu es ma force et ma vie, mon bonheur et mon threzor !

— Et vous, respondoyt-il, vous estes une perle, ung ange !

— Toy, mon séraphin !

— Vous, mon ame !

— Toy, mon dieu !

— Vous, mon estoile du soir et du matin, mon honneur, ma beaulté, mon univers !

— Toy, mon grant, mon divin maistre !

— Vous, ma gloire, ma foy, ma religion !

— Toy, mon gentil, mon beau, mon courageux, mon noble, mon chier, mon chevalier, mon défenseur, mon roy, mon amour !

— Vous, ma fée, la fleur de mes iours, le songe de mes nuicts !

— Toy, ma pensée de tous les momens !

— Vous, la ioye de mes yeulx !

— Toy, la voix de mon ame !

— Vous, la lumière dans le iour !

— Toy, la lueur de mes nuicts !

— Vous, la mieulx aymée entre les femmes !

— Toy, le plus adoré des hommes !

— Vous, mon sang, ung moy meilleur que moy !

— Toy, mon cueur, mon lustre !

— Vous, ma saincte, ma seule ioye !

— Ie te quitte la palme de l’amour, et, tant grant soit le mien, ie cuyde que tu m’aymes plus encores, pour ce que tu es le seigneur.

— Non, elle est à vous, ma déesse, ma vierge Marie !

— Non, ie suis ta servante, ta meschine, ung rien que tu peux dissouldre !

— Non, non, c’est moy qui suis vostre esclave, vostre paige fidelle, de qui vous pouvez user comme d’ung souffle d’aër, sur