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BERTHE LA REPENTIE.

table, leur petit iouoyt par adventure, et, maulgré les itératifves prières de sa mère, ne voulut laisser le ieu, veu que il tournoyoit par la court du chastel, chevauchiant un fin genest d’Hespaigne, duquel monseigneur Charles de Bourgongne avoyt guerdonné Bastarnay. Et pour ce que les ieunes gars ayment à se vieillir, que les varlets font les bacheliers, que les bacheliers soulent faire les chevaliers, ce petit se complaisoyt à monstrer à son amy le moyne combien il estoyt devenu grant : il faisoyt saulter le genest comme puce ez toiles, et ne bougioyt ne plus ne moins que s’il eust esté vieulx soubz le harnoys.

— Laisse-le faire à sa guyse, ma chière mye, disoyt le moyne à Berthe. Les enfans indociles se tournent souvent en grans charactères.

Berthe mangioyt petitement, car le cueur s’enfloyt comme esponge en l’eaue. Aux primes morceaulx, le moyne, qui estoyt grant clerc, sentit en son estomach ung trouble et en son palais une ascre picqûre de venin qui luy feit soupçonner que le sire de Bastarnay leur avoyt à tous baillé le bouccon. Paravant que il eust cet acertenement, Berthe avoyt ia mangié. Soubdain le moyne renversa la nappe et gecta le tout dedans l’aatre, disant à Berthe son soupçon. Berthe mercia la Vierge de ce que son fils avoyt esté tant féru de iouer. Ne perdant point le sens, dom Iehan se remembra son prime mestier de paige, saulta dedans la court, osta son fils de dessus le genest, l’enfourcha tost, vola par la campaigne avecques telle diligence, que vous auriez cuydé veoir une estoile filante, si vous l’eussiez veu donnant du talon dedans le flanc dudict genest à l’esventrer, et feut à Losches chez la Fallotte en ung temps que le diable seul auroyt pu mettre à aller dudict chastel à Losches. Le moyne feit le compte de son cas à la Fallotte en deux mots, veu que desià le poison luy grezilloyt en la fressure, et la requit luy bailler ung contre-poison.

— Las ! dit ceste sorcière, si ie avoys sceu que ce feust pour vous que ie livroys mon poison, i’auroys receu dedans le gozier la lame du poignard duquel ie estoys menassée, et auroys laissé ma paouvre vie pour saulver celle d’ung homme de Dieu, et la plus gente femme qui oncques ha flory sur ceste terre, veu que, mon chier amy, ie n’ay que ce demourant de contre-poison en ceste fiole.

— Y en a-t-il pour elle ?

— Oui ; ains allez tost, feit la vieille.