Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/15

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Invitée à s’expliquer sur ce projet belliqueux :

— C’est aujourd’hui la Saint-Charlemagne, reprit Naïs ; vous savez que ce jour-là, dans les collèges, il y a un grand déjeûner pour tous ceux qui ont été les premiers depuis le commencement de l’année.

— Je sais cela, dit Sallenauve, quoiqu’ayant été toujours trop paresseux pour être convié à ce banquet.

— Armand, qui est très fort dans sa classe, reprit Naïs, devait être invité plus que personne ; il paraît que ces messieurs ne sont pas surveillés ; il y en a qui boivent jusqu’à se rendre malades, et il faut ensuite les reconduire en fiacre chez leurs parents.

— Vous êtes très bien informée, ma chère Naïs, et ces petits désordres arrivent très fréquemment.

— Armand, lui, n’a pas été malade ; mais il paraît qu’il était assez lancé, et avec deux ou trois externes, ayant renvoyé Lucas qui était allé pour le chercher, n’a-t-il pas eu la malheureuse idée d’aller boire de la bière dans un estaminet de la place de l’Odéon. Ces messieurs voulaient fumer.

— Et là, dit Sallenauve, il a pris querelle avec quelque élève d’un autre collège ?

— Pas du tout, dit Naïs, dans ce vilain endroit il y avait un homme avec une barbe rouge qui jouait au billard et qui eut l’air de rire d’Armand et de ses camarades, parce qu’il y en avait un qui n’avait jamais fumé et qui, sentant que cela lui tournait sur le cœur, faisait, à ce qu’il paraît, une assez drôle de grimace.

— Eh bien ! dit Sallenauve, il fallait laisser rire cet homme à barbe rouge ; rien n’est en effet, si ridicule, qu’un collégien se rendant malade, en voulant faire le grand garçon.

— Oui, mais Armand n’est pas endurant ; et lui, au contraire, lança à l’homme un coup d’œil des plus provocants. Alors l’homme vient auprès de la table où ces messieurs étaient assis et voyant qu’Armand prenait son verre plein pour le porter à sa bouche, il le lui arrache des mains, en lui disant : Tu ne boiras jamais tout ça, mon petit, part à deux ! et il boit la bière d’Armand.

— C’est, dit Sallenauve, une plaisanterie très connue d’estaminet.