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le sang de la coupe

Je tremble, moi qui sais dans un jardin féerique,
Mêlant aux doux ruisseaux la chanson de mes vers,
Tresser en souriant la guirlande lyrique
Et danser au soleil parmi les gazons verts.

Je sais épanouir les odes amoureuses,
Charmant avec mes sœurs les bois extasiés,
Et j’accorde ma voix, sous les forêts ombreuses,
Avec les rossignols cachés dans les rosiers.

Mais je tremble d’oser sur la scène divine
Où le maître Racine a fait parler les Dieux,
Vous montrer après lui cette double colline
Que Phœbos emplissait de chants mélodieux.

J’ai voulu, pauvre enfant, en mes jeunes délires,
Vous faire voir, parmi des rayons irisés,
La sereine Lesbos où dans la voix des lyres
Se confondait le bruit des chants et des baisers.

Mais je tremble à présent, moi compagne du pâtre,
En voyant mon idylle et mon rêve enchanteur
Fouler d’un pied craintif ces planches du théâtre
Que peut seul animer le génie, et j’ai peur.

Ah ! soyez-moi cléments, rois élus de ces fêtes,
Qui souriez déjà rien qu’en me regardant,
Ô fronts que le laurier couronne, ô vous, poëtes
Qui marchez d’un pied sûr dans le buisson ardent.