Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/101

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Là, quelque étudiant, sans crainte et sans envie,
Écoute frissonner le flot noir de la vie
Et jette l’avenir aux chances du destin.
Pauvres petits palais de ce pays Latin
Si dédaigneusement jeté sur une rive,
Quand on vous a quittés tout jeune, et qu’on arrive
Tout pâle à votre seuil, le cœur bat vite, allez !
  Or, retrouvant par là tous ses jours envolés,
Notre héros tremblait comme un soir de décembre,
Car il tournait la clef de la petite chambre
Où s’étaient écoulés ses beaux jours. Si hardi
Qu’il fût, son front devint pâle, et, tout étourdi,
Il alla s’appuyer contre un mur. Sa mémoire
Pleurait en s’éveillant, et ses rêves de gloire
Venaient, spectres hagards, passer devant ses yeux.
Il les avait quittés si jeune ! lui si vieux
Maintenant, pour jeter aux caprices d’une onde
Perfide, ses trésors, et demander au monde
Une place au festin du bonheur inconnu !
Tu sais, mon pauvre Armand, comme il est revenu.
Bien des flots ont meurtri son front. Bien des tourmentes
Ont fait craquer son verre aux dents de ses amantes ;
L’implacable vautour de la Vie a rongé
Son cœur. Pourtant rien n’est absent, rien n’est changé
Dans la chambre : l’étoffe illustre des vieux âges,
Les meubles vermoulus et les vieilles images
Sont là : maître Wolframb, Hamlet dans son manteau
Noir, les Amaryllis mourantes de Watteau,