Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/77

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Mais quand l’illusion s’incarne tout entière,
Lorsque l’ange du rêve est devenu matière,
On ne sait plus alors ce qu’on en pensera.
C’est le provincial qui vient à l’Opéra
Des clochers inconnus de sa verte campagne.
Il vient comme on viendrait au pays de Cocagne,
Si bien que ni le chant, ni le public choisi,
Ni le vol fabuleux de Carlotta Grisi
Et les pâles Willis avec leurs maillots roses,
Ne semblent à ses yeux de merveilleuses choses.
Il rêvait tout moins beau, mais quelque chose encor,
Et croyait au perron trouver des marches d’or.
C’est ainsi que l’espoir s’entoure de mensonges,
Et que la passion est un pays de songes
Où l’on va comme un homme enivré d’alcool.
Il semble qu’on va suivre un aigle dans son vol,
Qu’on est grand, que la joie et ses rudes atteintes
En râles convulsifs tordront les chairs éteintes,
Qu’on se relèvera tout autre ; mais souvent
On se retrouve après Gros-Jean comme devant.
  Aussi lorsque j’ai soif de rage et de caresse,
En un mot, que je veux choisir une maîtresse
Telle que le dieu grec les élève à son jeu,
Une femme de lit, je m’inquiète peu
Des petits pieds de reine et des yeux en amandes.
Ce qu’il me faut, à moi, ce sont les chairs flamandes
Que dessinait Rubens de son hardi pinceau.
Quant à ces do¤a Sol aux tailles d’arbrisseau