Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/91

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De bons divans de perse avec des cordelettes
Et de lourds oreillers, et, comme statuettes,
Deux seulement en marbre et semblant percer l’air :
Carlotta la divine, et la rieuse Elssler ;
Du vin dans des flacons, et près des pipes d’ambre
Les verres de Bohême. Au plancher de la chambre
Pas de riches tapis d’un goût luxuriant,
Mais une fraîche natte en paille d’Orient.
  C’est là que les pieds nus, dans l’ombre accoutumée,
Prosper s’environnait d’une blanche fumée,
Et les yeux de la reine épanouis sur lui,
Comme un autre Aenéas, racontait son ennui :
— ― Par Hercule ! dit-il, depuis deux ans, ma chère,
Je me gorge d’amour, d’or et de bonne chère.
Et je trouve l’or vil, et les dégoûts bien prompts.
— ― Si tu veux, dit Phoebé, nous nous enivrerons.
— ― Je me suis réveillé repu sur tant de couches,
Que ces femmes me sont insipides. Leurs bouches
Me sont froides ! Du vin ! verse tout le flacon !
S’il me fallait encor passer par un balcon,
Peut-être que ces nuits me sembleraient plus drôles ;
Mais tous ces bons époux savent si bien leurs rôles,
Que l’on entre aujourd’hui par la porte. Vraiment
On a l’air d’un laquais, et non pas d’un amant.
C’est, comme dit Pierrot, toujours la même gamme !
— ― Si tu veux, dit Phoebé, nous dormirons. ―― O femme !
Tu ne comprends donc pas que pour moi tout est mort,
Et qu’on est bien heureux, ma Blanche ! quand on dort.