Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Et, comme deux enfants qu’on flatte et qu’on câline,
La Muse les berçait sur sa large poitrine,
Et ne plia jamais, tant ses reins étaient forts !
Aux coups passionnés de leurs rudes efforts.
Oui, malgré les regards de la foule béante,
Elle ne put faiblir, la robuste géante,
Que sous les lourds baisers des éléphants-Harel.
J’ai toujours, pour ma part, trouvé surnaturel
De voir ces animaux jouer la tragédie.
C’est là ma bête noire, et ma foi, quoi qu’on die
Comme dit Trissotin, j’aime mieux Beauvallet.
D’ailleurs, tout ce qui vient d’Afrique me déplaît,
Sauf ces brunes Fellahs dont la mamelle antique
Est d’un bronze charnu qui perce une tunique.
Aussi, quand par hasard ce souvenir me vint,
Je prenais mon chapeau quatorze fois sur vingt,
Et pour le Luxembourg dédaigneux et folâtre,
Mon jardin, je quittais l’Odéon, mon théâtre.
  Dans tout ce qu’on me voit écrire en général,
Mais surtout dans les vers de ce conte moral,
J’abuse sans pudeur du mot suave : J’aime.
Il faudrait l’éviter par quelque stratagème.
Cependant nous voilà dans l’Éden azuré,
Mon âme, et c’est pour lui que j’en abuserai.
Car lorsque j’eus quinze ans, que mes Chimères lasses
Voulurent secouer la poussière des classes,
Rêveur et fou, j’appris chez lui mon cher métier.
Je lui ferais sans peine un livre tout entier.