Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/98

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J’aime son bassin vert aux cygnes blancs, ses marbres
Se détachant au loin sur le velours des arbres,
Ses coupes sur des bras d’Amours, riche travail,
Où les géraniums de pourpre et de corail
Brillent dans le soleil comme des rois barbares,
Et ses parterres gais, où, parmi les fanfares
D’un triomphe de fleurs plus charmant et plus beau
Que l’entrée à Paris de la reine Ysabeau,
Passe un zéphyr, léger comme un souffle de femme.
  O vous que j’appelais mon âme, vous, Madame,
Que je mêle toujours en mes songes flottants
À tous mes souvenirs d’aurore et de printemps,
Vous le rappelez-vous, lorsque le soir flamboie,
Ce vieux jardin riant, plein d’ombre et plein de joie ?
Ce fut là le berceau de nos jeunes amours.
C’est là qu’au mois de mai vous alliez tous les jours,
Une fleur à la main, vous asseoir la première
Sur la terrasse, près du vieux balcon de pierre.
Et lorsque j’arrivais aussi, par un hasard
Si bien prévu la veille, alors votre regard
Me querellait au loin d’une moue enfantine.
Moi, portant sur mon front des rougeurs d’églantine
Je venais saluer votre mère, et souvent
Elle me retenait à ses côtés. Savant
Bachelier, délaissant les codes pour les odes,
Je pouvais au besoin causer parure ou modes,
Et près d’un vieux parent arrivé du Congo,
Faire des calembours contre Victor Hugo.