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LES EXILÉS


Elle leur parle ainsi, grave, tenant la lyre,
Le regard ébloui de clartés radieuses,
Et mêlant tendrement la voix de son délire
Aux plaintes sans repos des eaux mélodieuses :

Vierges, dit-elle, enfants baignés de tresses blondes,
Vous dont la lèvre encor n’est pas désaltérée,
Le Rhythme est tout ; c’est lui qui soulève les mondes
Et les porte en chantant dans la plaine éthérée.

Poétesses, qu’il soit pour vous comme l’écorce
Étroitement unie au tronc même de l’arbre,
Ou comme la ceinture éprise de sa force
Qui dans son mince anneau tient notre flanc de marbre !

Qu’il soit aussi pour vous la coupe souveraine
Où, pour garder l’esprit vivant de l’ancien rite,
Le vin, libre pourtant, prend la forme sereine
Moulée aux siècles d’or sur le sein d’Aphrodite !

Le cercle où, par les lois saintes de la musique,
Les constellations demeurent suspendues,
N’affaiblit pas l’essor de leur vol magnifique
Et dans l’immensité les caresse éperdues.

Tel est le Rhythme. Enfants, suivez son culte aride.
Livrez-lui le génie en esclaves fidèles,
Car il n’offense pas l’auguste Piéride,
En entravant ses pieds il l’enveloppe d’ailes !