Page:Banville - Œuvres, Les Exilés, 1890.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
140
LES EXILÉS


Car il fut un vrai fils des antiques Orphées,
Et la création l’accueillait en ami
Dans la clairière obscure et près des sources fées
Où brille le serpent, sur le sable endormi.

Que disait-il, penché sur le flot des fontaines,
Aux fleurettes de l’herbe, aux nids dans les roseaux,
Quand d’une voix si tendre il leur contait ses peines,
Lui qui savait aussi la langue des oiseaux ?

Ou bien, avec l’aurore il fuyait dans la brume,
Farouche et, comme l’Ange horrible du trépas,
Monté sur un cheval effaré, blanc d’écume,
Qu’il faisait obéir en lui parlant tout bas.

Mais il aima surtout cette consolatrice,
La Nuit, la grande Nuit qui, dans ses cheveux bruns,
De nos seins déchirés baise la cicatrice,
Et berce nos tourments au milieu des parfums ;

La Nuit et ses lueurs de diamant, froissées
Par l’aube, dont l’opale éclate au front du ciel,
Et le frissonnement des étoiles glacées
Qui guérit les transports de nos cœurs pleins de fiel.

Il contemplait, de l’ombre où nos larmes tarissent,
Dans le jardin de joie à nos pas défendu,
Ces guirlandes, ces lys de clarté qui fleurissent,
Et leur parlait alors, de douleur éperdu !