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LES EXILÉS


Ah ! sans doute, bel Ange effrayé de ton rêve,
Tu chercheras bientôt la fraîcheur du matin,
Et tu te guériras des voluptés sans trêve
Près d’une blonde épouse au regard enfantin.

Ainsi qu’un matelot fatigué des tourmentes,
Et las de voir toujours le gouffre tournoyer,
Tu renaîtras alors, et loin de tes amantes
Tu connaîtras enfin la douceur du foyer.

Tels ils parlaient ; mais lui, bercé par la musique
Suave qu’il écoute au fond du ciel obscur,
Répondait lentement de sa voix héroïque,
Dont la sérénité fait songer à l’azur :

Oui, le calme plairait à ma fierté jalouse,
Et j’aspire en silence à l’oubli des combats.
Oui, mon cœur tout sanglant appelle son épouse ;
Mais que me parlez-vous de bonheur ici-bas ?

Croyez-vous que je puisse en des routes fleuries
Oublier les déserts d’épouvante peuplés,
Quand mes frères tremblants, sous le fouet des Furies,
Baissent avec horreur des fronts échevelés ?

Ah ! donnez-leur aussi l’épouse blonde et fière
Qui tend sa lèvre en fleur plus douce que le vin,
Et le vieux lit de chêne, et la pure lumière
Du rajeunissement, sans lequel tout est vain !